Dans des articles précédents, j'ai souvent parlé d' "orientation spatiale", et du "Finder Spatial". Ce ne sont pas des idées de mon invention, et j'ai souvent cité d'autres sources comme Bruce Tognazzini (le fondateur du groupe Apple Human Interface), comme une manière de me justifier. Dans l'affaire, je crois que mes articles ont contribué à élever le niveau de ce sujet dans la communauté Mac. Aujourd'hui, le "Finder Spatial" est un sujet bien connu, dans beaucoup de forums de discussions des fans de Macs (et même de quelques fans de PCs).
Il y aura bien des gens pour dire que c'est un sujet vain. Ne vous étonnez pas que je m'oppose à cette opinion. D'abord, dans ces discussions, il y a rarement un quelconque consensus sur ce qu'est, exactement, le "Finder Spatial". Ostensiblement, beaucoup de discussions sur le sujet représentent des contributions d'individus qui présentent des points de vue apparemment opposés, basés sur des prémices différents. Ensuite, l'intransigeance ne peut pas (ou ne devrait pas, de toute façon) maintenir à terre une bonne idée. Je crois encore fermement que les interfaces spatialement orientées sont trop intéressante pour qu'on les abandonne complètement.
Mais retournons en arrière, et commençons par fixer cette terminologie embarrassante. Je vais expliquer ce que j'entends quand j'utilise ces termes, (qui peuvent ou non correspondre exactement à d'autres définitions, même celles de Tog). Ces définitions vont servir de base de discussion dans cet article (si ce n'est, peut-être, dans tout le monde web).
L' "orientation spatiale" n'est qu'un mot. Il est souvent plus facile de parler des interfaces qui tirent avantage de l'orientation spatiale. On intéragit avec une telle interface en reconnaissant des objets selon leur taille, leur forme, leur position, leur couleur, et d'autres caractéristiques visuelles, et en utilisant des outils pour manipuler ces objets.
Ce peut être des objets réels, comme un volant ou un levier de changement de vitesse dans une voiture, ou des objets "virtuels", comme des fenêtres ou des icônes sur un écran d'ordinateur. Evidemment, nous allons parler de ces derniers, mais c'est en les mettant en relation avec les précédents que les avantages des interfaces spatiales "virtuelles" se révèlent.
(Note : Bien que je vais souvent utiliser le terme d' "interface spatiale", très peu d'interfaces sont entièrement orientées spatialement sous tous rapports. L' "interface spatiale" est une description simplifiée d'une interface qui utilise principalement des qualités et des relations spatiales, comme moyen d'identifier des objets et d'agir sur eux).
Commençons par quelques idées fausses courantes.
• Etant données les definitions ci-dessus, on en tire souvent la conclusion que les interfaces spatiales représentent une imitation servile d'objets du monde réel, et souffrent de toutes les limitations que cela implique. On a vu beaucoup d'exemples d'interfaces qui imitent exactement le monde réel, et les résultats n'ont pas été bons.
• La complexité des ordinateurs personnels, et de la gestion des fichiers en particulier, s'est considérablement accrue ces dernières années, avec la croissance explosive de la vitesse des CPUs, et de la capacité des disques. En conséquence, on a largement jugé que les interfaces spatiales, qui se sont comportées admirablement dans le passé, ne sont plus adaptées au besoin de traiter le volume et la diversité d'information pris en compte par les ordinateurs personnels modernes.
Comme je vais l'expliquer bientôt, ces condamnation des interfaces spatiales représentent une mauvaise interprétation des objectifs et des possibilités de l'orientation spatiale, et une incompréhension du problème.
Les avantages des interfaces spatiales sont si évidents, que nous les appliquons dans le monde réel. Depuis notre naissance, nous sommes confrontés à des tâches consistant à reconnaître et à manipuler des objets dans l'espace. Même avant notre première conscience, la prise en compte de ces "interfaces" est devenue si naturelle que nous ne les considérons même pas comme des interfaces.
Les boutons et les poignées de portes, les interrupteurs dans la maison, les places à table pour le dîner, même de simples meubles : l'utilisation de toutes ces interfaces spatiales du monde réel est une seconde nature pour nous. Tous se comportent bien sur tous les aspects suivants du terme général d' "usage".
• Facilité d'apprentissage : Ces interfaces de tous les jours sont faciles à apprendre parce qu'elles doivent adhérer à des lois physiques avec lesquelles nous sommes tous familiarisés en passant de bébé à enfant. Les éléments physiques tendent tous à se comporter de façon prévisible.
• La mémorisation : les boutons de porte, les interrupteurs ne se modifient pas et ne changent pas de place tout seuls, ce qui fait que leur position et leur maniement sont faciles à retenir. Par exemple, après avoir vécu quelques mois dans une nouvelle maison, les positions de tous les interrupteurs couramment utilisés ont été "mémorisées". Je mets ce mot entre guillemets, parce que le processus de mémorisation intervient naturellement avec le temps, essentiellement sans pensée consciente.
• L'efficacité : une pensée consciente est rarement impliquée dans l'utilisation effective journalière de ces interfaces spatiales. Nous entrons seulement dans les pièces et les immeubles, et les quittons ; les portes s'ouvrent devant nous, et les lumières s'allument et s'éteignent quand il le faut. Bien que nous exécutions ces tâches nous-mêmes physiquement, nous n'avons pas à y penser. De la même façon que manger est rarement un processus conscient d'utilisation d'outils.
• La satisfaction : aspect souvent négligé de l'usage, la satisfaction basique de l'utilisation de ces interfaces est une bonne indication de leur succès. Avec les interfaces de tous les jours, la "satisfaction" se présente le plus souvent comme une "absence d'ennuis". Si la satisfaction décroit, c'est un signe évident qu'une certaine partie de l'interface fait défaut. Par exemple nous avons tous rencontré des portes à pousser, avec un bouton de porte dessus. En dépit de l'écriteau invitant en grosses lettres à pousser la porte, nous attrapons le bouton de porte pour la tirer, bien avant d'avoir pensé à ce qu'il faut faire. Inutile de dire que cela diminue la satisfaction, surtout si des gens nous observent.
C'est pourquoi il est souhaitable d'imiter les aspects favorables de ces interfaces spatiales du monde réel. Mais une interface spatiale ne prétend pas reproduire tous les défauts et les contraintes des objets du monde réel. Elle cherche plutôt à exploiter leurs avantages, en allant au delà de leurs limites.
Mais que dire de ces types d'interfaces qui sont trop simples pour être d'aucune utilité, en face de la surcharge d'information de l'âge numérique ? Bien sûr, les interrupteurs, les boutons de portes, les chaises, les couteaux et les cuillers fournissent un bon usage, parce que leurs tâches sont très simples. Il faut des interfaces virtuelles infiniment plus efficaces et complexes en informatique, ou alors, l'argument s'écroule.
Et cet argument échoue à résoudre avec précision le problème posé : l'interaction humaine avec de grandes masses d'informations complexes. Le problème principal n'est pas la complexité de la chose à gérer, mais la constance du gestionnaire. Autrement dit, l'invariant de cette équation, c'est l'être humain.
Les talents innés que les êtres humains montrent dans la manipulation des interfaces spatiales, ont émergé des besoins sur des millions d'années. D'énormes portions de l'esprit humain, (sans doute disproportionnées en comparaison avec une vision "de bons sens" de l' "intelligence") sont dévolues à traiter et à interpréter de l'information visuelle, et à coordonner des actions physiques avec cette information.
Peut-être que des millions d'années dans le futur, la nécessité d'utiliser des objets physiques dans l'espace sera atténuée (ou peut-être pas, cela dépend de l'auteur de science fiction que vous lisez). Mais cette échelle de temps est sans commune mesure avec la croissance incroyablement rapide de la complexité de l'information engendrée par la technologie. Tout progrès de l'évolution doit être considéré comme insignifiant quand il s'agit de concevoir les interfaces d'aujourd'hui.
De surcroît, c'est une erreur de croire que les facilités de l'interface évoluent à l'échelle d'une génération plutôt qu'à celle de l'évolution. Il est tentant de comparer les capacités technologiques de nos parents et grands parents, et de conclure que les générations actuelles et futures sont naturellement plus aptes à utiliser de nouvelles formes d'interfaces. Mais, si beaucoup de choses s'apprennent (le vocabulaire, les attentes fonctionnelles, les traditions, etc...), aucune accumulation de savoir ne pourra fondamentalement réorganiser la structure du cerveau humain en l'espace de quelques générations.
L'interface esprit/corps de l'être humain est ce qu'il est. Nous devons créer des interfaces qui utilisent ses avantages et évitent ses faiblesses.